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Devenez connaisseur ! Un dossier spécial de La Presse +

LA QUÊTE DE LA QUALITÉ

Dans les dernières années, la popularité de l’huile d’olive n’a cessé de croître, générant, au même rythme, un marché de la contrefaçon bien huilé. Peut-on se fier à ce qu’on nous vend à l’épicerie ? Comment distinguer la qualité de la frime ? Notre journaliste s’est penchée sur la question.

UN DOSSIER D'ISABELLE MORIN
 

QUAND HUILE RIME AVEC FRIME

Sa palette aromatique est riche et sa façon de charpenter un plat, unique. L’huile d’olive a par ailleurs de nombreux effets bénéfiques sur la santé, mis en lumière par suffisamment d’études pour être pris au sérieux. L’intégrer à son alimentation a du bon, certes, mais tous les produits du marché ne sont pas équivalents, tant sur le plan gustatif que sur celui de la santé.

En 2015, une enquête menée en Italie, deuxième exportateur d’huile d’olive après l’Espagne, venait mettre au jour l’un des plus importants scandales de l’industrie alimentaire : sept grandes marques, parmi lesquelles la géante Bertolli, étaient accusées d’avoir vendu des huiles d’olive contrefaites.

Chez nous, les résultats d’une analyse faite par l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) révélaient, la même année, que sur 21 huiles d’olive vendues au Canada ayant éveillé des soupçons, 7 n’étaient pas conformes aux règles d’étiquetage canadiennes et aux normes du Conseil oléicole international (COI), l’organisme qui chapeaute l’industrie de l’huile d’olive.

L’ACIA reconnaît que la qualité des huiles d’olive offertes sur le marché est un problème. Depuis quelques années, elle teste en laboratoire des produits prélevés de manière aléatoire. La situation est assez « stable », si on la compare à celle d’il y a trois ans, constate la chef adjointe de la salubrité alimentaire de l’ACIA, Aline Dimitri. Difficile de cibler une infraction en particulier.

« Souvent, ce qu’on trouve comme problème, c’est la substitution : une huile de moins grande qualité est ajoutée pour diminuer les coûts ou une huile est prétendue extra-vierge alors qu’elle ne l’est pas. »

— Aline Dimitri, chef adjointe de la salubrité alimentaire de l’ACIA

QUAND LA CONFUSION RÈGNE

L’importation d’huile d’olive a plus que doublé au Canada depuis le début de 2000, selon le COI, un succès qui n’est pas étranger aux vertus qu’on attribue à ce produit. « L’huile d’olive a un profil lipidique hors pair. Elle contient des gras mono-insaturés bénéfiques pour la santé du cœur et un bon cholestérol sanguin », affirme la nutritionniste Catherine Lefebvre. Ses bienfaits sont toutefois proportionnels à sa valeur qualitative, gage d’une quantité d’antioxydants plus élevée.

Or, le problème de l’huile d’olive est non seulement la contrefaçon, mais la qualité des produits qu’on retrouve sur le marché, estime l’importateur d’huiles d’olive Michel Favuzzi, qui prêche pour un resserrement des normes du COI. « L’huile est limite extra-vierge et donne l’impression que c’est ça, de l’huile d’olive. Un autre problème est qu’il n’y a aucun contrôle systématique : les instances gouvernementales se fient à la bonne foi de l’importateur qui se fie à la bonne volonté du producteur. »

Résultat : le consommateur peine à s’y retrouver. Pour s’assurer de la qualité des huiles qu’il importe, Michel Favuzzi fait faire des analyses dans des laboratoires privés, un test que devraient exiger, croit-il, tous les importateurs, grandes enseignes et détaillants. Dans l’immédiat, le consommateur est remis à lui-même et doit se fier à d’autres critères – le goût du produit, son prix et l’étiquette – pour distinguer une huile de qualité d’un produit qui l’est moins ou qui ne l’est pas.

Les références du consommateur sont toutefois biaisées, croit l’entrepreneur. Les gens sont tellement habitués aux huiles rances ou de mauvaise qualité qu’ils en ont fait leur référence en matière de goût. Dans des tests à l’aveugle, ces huiles sont même privilégiées aux huiles de qualité, souligne-t-il.

« Le consommateur veut de la qualité, sans en payer le prix. Ça crée une pression à offrir un produit bon marché. Mais une huile d’olive pas chère, ça n’existe pas ! »

— Michel Favuzzi, importateur d’huiles d’olive

UN PRODUIT QUI A UN COÛT

Des huiles d’olive prétendues extra-vierges s’affichent en solde autour de 9,99 $ le litre. Si, à la Bourse de Bari, en Italie, ou à celle de Madrid, en Espagne une huile d’olive extra-vierge italienne se négociait à 10 $ le litre jusqu’en juillet, et considérant qu’il faut y ajouter les coûts de l’embouteillage, de l’étiquetage, de l’exportation, la marge de l’importateur et du détaillant, comment peut-elle se retrouver sur les tablettes de nos supermarchés au même prix ?

« Il y a matière à penser qu’on n’a pas affaire à une huile d’olive à 100 %, répond le propriétaire de la boutique Olive pressée, Bruno Ranély. Ou si c’est le cas, c’est peut-être un produit qui a deux ou trois ans et qui a été retravaillé et mis en bouteille. »

Pour comprendre ce qu’est une huile extra-vierge, il faut d’abord en comprendre la production. Une huile d’olive extra-vierge est faite uniquement de jus d’olives récolté en pressant les fruits à froid mécaniquement. Un olivier ne produit qu’autour de cinq litres d’huile par récolte. De plus, les olives doivent être cueillies vertes, ce qui garantit une meilleure qualité, mais un moins bon rendement.

Les meilleurs producteurs pressent également leurs olives dans les 12 heures suivant la récolte. « Après 24 heures, l’oxydation se produit, ce qui augmente le taux d’acidité de l’huile. Elle sera moins extra-vierge », explique Bruno Ranély. Des parasites, une sécheresse ou des pluies trop abondantes sont d’autres facteurs qui influent sur la récolte et, par le fait même, sur les prix.

Certains producteurs privilégient le rendement à la qualité et offrent, en l’occurrence, un produit moins cher, qui aura aussi une moins longue durée de conservation, sera moins complexe au goût et beaucoup moins riche en antioxydants. « La décision revient au consommateur, conclut Michel Favuzzi. À lui de choisir s’il souhaite consommer l’équivalent d’un vin de table ou un bon vin. »
 

À QUELLE HUILE SE VOUER ?

Quelques repères pour poser un regard limpide sur l’huile d'olive.
 

LES TYPES

L’HUILE EXTRA-VIERGE

C’est la meilleure qualité d’huile d’olive. Selon le COI, elle doit n’avoir aucun défaut organoleptique (arôme et saveur) et doit être dotée d’un certain goût fruité. En laboratoire, son taux d’acidité (parfois indiqué sur l’étiquette) ne doit pas excéder 0,8 %.
 

L’HUILE D’OLIVE VIERGE OU 100 % PURE

Elle est décrite par le COI comme une huile de moins grande qualité. Elle peut comporter des défauts organoleptiques. Son taux d’acidité ne doit cependant pas excéder 2 %.
 

L’HUILE D’OLIVE OU EXTRA-LÉGÈRE

Elle est composée d’un mélange d’huiles vierges et d’huiles raffinées pour en éliminer entre autres les odeurs et les couleurs. Elle peut avoir été chauffée.
 

L’HUILE DE GRIGNONS

Souvent utilisée dans l’industrie cosmétique, elle est obtenue à partir des résidus – peau, pulpe, noyau – de l’extraction.
 

LES CRITÈRES

LE PRIX

Une bouteille d’huile d’olive extra-vierge se détaille de 12 à 15 $ les 500 ml, en épicerie. « Ce n’est peut-être pas une grande huile, mais on a généralement une certitude qu’il s’agit d’une huile d’olive véritable et qu’elle n’est pas coupée avec une autre huile végétale, comme de l’huile de canola ou de tournesol », indique Bruno Ranély.
 

LE GOÛT

Pour le consommateur, la seule façon de s’assurer que l’huile est de qualité est de la goûter. Elle devrait avoir un goût d’herbe fraîche, une petite amertume et un piquant indiquant la présence de polyphénols, qui sont des antioxydants. « Si on cherche une huile sans saveur, mieux vaut se tourner vers un autre type d’huile », estime Michel Favuzzi.
 

L’ÉTIQUETTE

Quand on ne peut goûter l’huile, il nous reste l’étiquette. Sa fiabilité est relative, mais le niveau de confiance qu’on peut accorder à une huile est généralement proportionnel à la qualité des renseignements qu’on retrouve sur la bouteille, parmi lesquels le pays et la région du producteur, les variétés d’olives utilisées et, finalement, la date de la récolte. Les bons produits sont issus de la dernière récolte, soit celle de 2016. Celle de 2017, récoltée cet automne, fera son apparition sur les tablettes au printemps. Une huile se conserve jusqu’à 24 mois après sa récolte et non après l’ouverture.
 

LA CONSERVATION

Plusieurs grandes huiles sont présentées dans des bouteilles transparentes. À l’épicerie, où les bouteilles sont exposées à une lumière intense, il est préférable de choisir les produits offerts dans une bouteille foncée, car l’huile s’oxyde sous l’effet de la lumière, de l’air et de la chaleur. Pour cette raison, on évite également de les laisser à côté de la cuisinière ou au gros soleil à la maison.
 

DEVENEZ CONNAISSEUR

La meilleure façon de s’assurer qu’une huile est bonne est d’y goûter. Mais encore faut-il savoir quoi rechercher. Michel Favuzzi, sommelier en huiles d’olive, nous guide dans l’évaluation et la dégustation de ce nectar.

Il existe 1552 variétés d’olives, certaines douces, d’autres, pugnaces, les plus connues étant les Picual, Frantoio, Arbequina, Koroneiki et Leccino. Seules ou combinées, elles alimentent un éventail de saveurs impressionnant, qu’on peut se plaire à découvrir et à utiliser dans des accords mets-huiles d’olive.

Une bonne huile se distingue facilement par ses arômes et ses saveurs. En Italie, une escouade spéciale de policiers a été formée pour détecter les échantillons d’huile falsifiée uniquement au goût et procéder ainsi à des sanctions sans analyses.

« C’est un goût qui se développe », selon Michel Favuzzi qui a invité La Presse+ à déguster une variété d’huiles. La différence est évidente au nez et aux papilles, comme nous avons pu le constater. Faites le test par vous-même.

PRÉPARATION

Les sommeliers d’huile d’olive utilisent de petits verres ballon teintés pour ne pas être influencés par la couleur du produit. Celle-ci varie selon les variétés d’olives utilisées et n’est donc pas un indice de qualité. À défaut d’être équipé comme les spécialistes, on peut tout simplement verser une cuillère à table d’huile dans un verre à vin, en comparant une huile de qualité (faites-vous conseiller dans une boutique spécialisée) à une huile de masse à bas prix. On peut pousser l’exercice plus loin en testant des huiles d’intensités différentes.

AU NEZ

Bloquez l’ouverture du verre d’une main et réchauffez sa base de l’autre avec la paume. Tournez le verre sur lui-même pour quelques minutes, comme pour un vin, afin d’en libérer les parfums. Humez lentement. Si vous captez des arômes prononcés à la première inspiration, c’est que vous êtes face à une huile d’une certaine intensité. Si, au contraire, vous devez creuser pour arriver à capter des odeurs, c’est qu’elle est plutôt délicate. L’intensité n’est pas un indice de qualité, mais une caractéristique. Une huile de moins grande qualité, fabriquée avec des olives très mûres, aura toutefois des arômes plus délicats.

AU GOÛT

Dégustez en faisant circuler l’huile dans la bouche, tout en aspirant l’air pour favoriser la perception des arômes. Son amertume se révèle d’abord sur les côtés arrière de la langue, puis on sent son piquant. L’intensité aromatique se confirme ensuite par sa persistance en bouche. « Une huile d’olive ne devrait pas nécessairement goûter l’olive, comme le vin ne goûte pas le raisin », indique Michel Favuzzi, pas plus qu’elle ne devrait goûter la tapenade, le caramel, le vinaigre, la terre ou avoir un goût rance. Une bonne huile d’olive extra-vierge a un goût frais d’herbe ou de gazon fraîchement coupé. Elle sent et goûte le « vert ». On y décèle ensuite une variété de saveurs : noix, artichauts, pelure de banane, beurre, fleurs ou vanille… Pour neutraliser la bouche entre les dégustations, prenez une cuillerée de yogourt nature ou croquez dans une pomme verte.

EN CUISINE

À la base, l’huile d’olive est un condiment qui devrait ajouter de la saveur à un plat. Comme son point de fumée est élevé, elle se prête à la cuisson et même à la friture. Bon à savoir : plus elle est de qualité, plus elle résistera à la chaleur. Il vous en coûtera toutefois plus cher… « Pour éviter de vous ruiner lors d’une cuisson qui nécessite une plus grande quantité d’huile, optez pour une huile avec un meilleur rapport qualité-prix, comme une huile d’olive extra-vierge vendue dans un plus gros contenant », suggère la nutritionniste Catherine Lefebvre.

DES ACCORDS METS-HUILES D’OLIVE

Si on cuisine un poisson blanc, on voudra utiliser une huile aux arômes délicats. Avec un mets corsé, une pizza au fromage de chèvre et à l’ail, par exemple, on pourra utiliser une huile qui a du caractère, propose Michel Favuzzi, qui encourage les gens à explorer. On peut créer des accords surprenants en associant des saveurs discordantes : une crème glacée à la vanille avec une huile aux notes herbacées, un fromage de chèvre et une huile aux notes de fruits tropicaux. L’huile d’olive a cette caractéristique, comme le sel, de rehausser les saveurs. Versez-en un filet sur les viandes, poissons, légumes, fromages et même sur le chocolat noir et les desserts.

Source : LaPresse +